Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/139

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Le soir même de la visite du charpentier, Chanteau fut pris d’un accès de goutte. Maintenant, les crises revenaient presque tous les mois ; le salicylate, après les avoir soulagées, semblait en redoubler la violence. Et Pauline se trouva clouée pendant quinze jours devant le lit de son oncle. Lazare, qui continuait ses études sur la plage, se mit alors à emmener Louise, afin de l’éloigner du malade, dont les cris l’effrayaient. Comme elle occupait la chambre d’ami, juste au-dessus de Chanteau, elle devait, pour dormir, se boucher les oreilles et s’enfoncer la tête dans l’oreiller. Dehors, elle redevenait souriante, ravie de la promenade, oublieuse du pauvre homme qui hurlait.

Ce furent quinze jours charmants. Le jeune homme avait d’abord regardé sa nouvelle compagne avec surprise. Elle le changeait de l’autre, criant pour un crabe qui effleurait sa bottine, ayant une frayeur de l’eau si grande, qu’elle se croyait noyée, s’il lui fallait sauter une flaque. Les galets blessaient ses petits pieds, elle ne quittait jamais son ombrelle, gantée jusqu’aux coudes, avec la continuelle peur de livrer au soleil un coin de sa peau délicate. Puis, après le premier étonnement, il s’était laissé séduire par ces grâces peureuses, cette faiblesse toujours prête à lui demander protection. Celle-là ne sentait pas seulement le grand air, elle le grisait de son odeur tiède d’héliotrope ; et ce n’était plus enfin un garçon qui galopait à son côté, c’était une femme, dont les bas entrevus, dans un coup de vent, faisaient battre le sang de ses veines. Pourtant, elle était moins belle que l’autre, plus âgée et déjà pâlie ; mais elle avait un charme câlin, ses petits membres souples s’abandonnaient, toute sa personne coquette