Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/154

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miers jours, madame Chanteau avait voulu lui faire comprendre l’inconvenance de ces soins donnés par un homme à une jeune fille ; mais il s’était récrié, est-ce qu’il n’était pas son mari ? puis, les médecins soignaient bien les femmes. Entre eux, il n’y avait, en effet, aucune gêne pudique. La souffrance, la mort prochaine peut-être, emportaient les sens. Il lui rendait tous les petits services, la levait, la recouchait, en frère apitoyé qui ne voyait de ce corps désirable que la fièvre dont il frissonnait. C’était comme le prolongement de leur enfance bien portante, ils retournaient à la nudité chaste de leurs premiers bains, lorsqu’il la traitait en gamine. Le monde disparaissait, rien n’existait plus, rien que la potion à boire, le mieux annoncé attendu vainement d’heure en heure, les détails bas de la vie animale prenant soudain une importance énorme, décidant de la joie ou de la tristesse des journées. Et les nuits suivaient les jours, l’existence de Lazare était comme balancée au-dessus du vide, avec la peur, à chaque minute, d’une chute dans le noir.

Tous les matins, le docteur Cazenove visitait Pauline ; même, il revenait parfois le soir, après son dîner. Dès la seconde visite, il s’était décidé à une saignée copieuse. Mais la fièvre, un instant coupée, avait reparu. Deux jours se passèrent, il était visiblement préoccupé, ne comprenant pas cette ténacité du mal. Comme la jeune fille éprouvait une peine de plus en plus grande à ouvrir la bouche, il ne pouvait examiner l’arrière-gorge, qui lui apparaissait gonflée et d’une rougeur livide. Enfin, Pauline se plaignant d’une tension croissante dont son cou semblait éclater, le docteur dit un matin à Lazare :

— Je soupçonne un phlegmon.