Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/155

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Le jeune homme l’emmena dans sa chambre. Il avait relu justement la veille, en feuilletant son ancien manuel de pathologie, les pages sur les abcès rétro-pharyngiens, qui font saillie dans l’œsophage, et qui peuvent amener la mort par suffocation, en comprimant la trachée. Très pâle, il demanda :

— Alors, elle est perdue ?

— J’espère que non, répondit le médecin. Il faut voir.

Mais lui-même ne cachait plus son inquiétude. Il confessait son impuissance à peu près complète, dans le cas qui se présentait. Comment aller chercher un abcès au fond de cette bouche contractée ? et, du reste, l’ouvrir trop tôt présentait des inconvénients graves. Le mieux était d’en abandonner la terminaison à la nature, ce qui serait très long et très douloureux.

— Je ne suis pas le bon Dieu ! criait-il, lorsque Lazare lui reprochait l’inutilité de sa science.

La tendresse que le docteur Cazenove éprouvait pour Pauline se traduisait chez lui par un redoublement de brusquerie fanfaronne. Ce grand vieillard, sec comme une tige d’églantier, venait d’être touché au cœur. Pendant plus de trente années, il avait battu le monde, passant de vaisseau en vaisseau, faisant le service d’hôpital aux quatre coins de nos colonies ; il avait soigné les épidémies du bord, les maladies monstrueuses des tropiques, l’éléphantiasis à Cayenne, les piqûres de serpent dans l’Inde ; il avait tué des hommes de toutes les couleurs, étudié les poisons sur des Chinois, risqué des nègres dans des expériences délicates de vivisection. Et, aujourd’hui, cette petite fille, avec son bobo à la gorge, le retournait au point qu’il ne dormait plus ;