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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/157

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barrant la trachée ; encore un peu de gonflement, l’air ne passerait plus. Ses deux années de médecine mal digérées redoublaient son effroi. Et c’était surtout la douleur qui le jetait hors de lui, dans une révolte nerveuse, une protestation affolée contre l’existence. Pourquoi cette abomination de la douleur ? n’était-ce pas monstrueusement inutile, ce tenaillement des chairs, ces muscles brûlés et tordus, lorsque le mal s’attaquait à un pauvre corps de fille, d’une blancheur si délicate ? Une obsession du mal le ramenait sans cesse près du lit. Il l’interrogeait, au risque de la fatiguer : souffrait-elle davantage ? où était-ce maintenant ? Parfois, elle lui prenait la main, la posait sur son cou : c’était là, comme un poids intolérable, une boule de plomb ardente, qui battait à l’étouffer. La migraine ne la quittait pas, elle ne savait de quelle façon poser la tête, torturée par l’insomnie ; depuis dix jours que la fièvre la secouait, elle n’avait pas dormi deux heures. Un soir, pour comble de misère, des maux d’oreilles atroces s’étaient déclarés ; et, dans ces crises, elle perdait connaissance, il lui semblait qu’on lui broyait les os des mâchoires. Mais elle n’avouait pas tout ce martyre à Lazare, elle montrait un beau courage, car elle le sentait presque aussi malade qu’elle, le sang brûlé de sa fièvre, la gorge étranglée de son abcès. Souvent même elle mentait, elle arrivait à sourire, au moment des plus vives angoisses : ça devenait sourd, disait-elle, et elle l’engageait à se reposer un peu. Le pis était qu’elle ne pouvait plus avaler sa salive sans jeter un cri, tellement son arrière-gorge se trouvait tuméfiée. Lazare se réveillait en sursaut : ça recommençait donc ? De nouveau, il la questionnait, il voulait savoir à quel endroit ; tandis que la