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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/158

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face douloureuse, les yeux clos, elle luttait encore pour le tromper, en balbutiant que ce n’était rien, quelque chose qui l’avait chatouillée, simplement.

— Dors, ne te dérange pas… je vais dormir aussi.

Le soir, elle jouait cette comédie du sommeil, pour qu’il se couchât. Mais il s’entêtait à veiller près d’elle, dans un fauteuil. Les nuits étaient si mauvaises, qu’il ne voyait plus tomber le jour sans une terreur superstitieuse. Est-ce que le soleil reparaîtrait jamais ?

Une nuit, Lazare, assis contre le lit même, tenait dans sa main la main de Pauline, comme il le faisait souvent, pour dire qu’il restait là, qu’il ne l’abandonnait pas. Le docteur Cazenove était parti à dix heures, furieux, ne répondant plus de rien. Jusqu’à ce moment, le jeune homme avait eu la consolation de croire qu’elle ne se voyait pas en danger. Autour d’elle, on parlait d’une simple inflammation de la gorge, très douloureuse, mais qui passerait aussi aisément qu’un rhume de cerveau. Elle-même semblait tranquille, le visage brave, toujours gaie, malgré la souffrance. Quand on faisait des projets, en causant de sa convalescence, elle souriait. Et, cette nuit-là encore, elle venait d’écouter Lazare arranger, pour sa première sortie, une promenade sur la plage. Puis, le silence était tombé, elle paraissait dormir, lorsqu’elle murmura d’une voix distincte, au bout d’un grand quart d’heure :

— Mon pauvre ami, je crois que tu épouseras une autre femme.

Il resta saisi, un petit frisson lui glaçait la nuque.

— Comment ça ? demanda-t-il.

Elle avait ouvert les yeux, elle le regardait de son air de résignation courageuse.