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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/168

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LES ROUGON-MACQUART.

— Véronique a-t-elle seulement songé à ton eau de guimauve ?

— Oui, oui, répondait-il par-dessus son journal.

Alors, elle baissait la voix, en s’adressant à Louise.

— C’est drôle, cette malheureuse Pauline ne nous a jamais porté bonheur. Et dire que des gens la croient notre bon ange ! Va, je sais les commérages qui courent… À Caen, n’est-ce pas ? Louisette, on raconte qu’elle nous a enrichis. Ah ! oui, enrichis !… Tu peux être franche, je me moque bien des mauvaises langues !

— Mon Dieu ! on cause sur vous comme sur tout le monde, murmurait la jeune fille. Le mois dernier, j’ai encore remis à sa place la femme d’un notaire qui parlait de ça, sans en connaître le premier mot… Vous n’empêcherez pas les gens de parler.

Dès ce moment, madame Chanteau ne se retenait plus. Oui, ils étaient les victimes de leur bon cœur. Est-ce qu’ils avaient eu besoin de quelqu’un pour vivre, avant l’arrivée de Pauline ? Où serait-elle à présent, dans quel coin du pavé de Paris, s’ils n’avaient pas consenti à la prendre ? Et l’on était bien venu, en vérité, de causer de son argent : un argent dont eux, personnellement, n’avaient eu qu’à souffrir ; un argent qui semblait avoir apporté la ruine dans la maison. Car, enfin, les faits parlaient assez haut : jamais son fils ne se serait embarqué dans cette stupide exploitation des algues, jamais il n’aurait perdu son temps à vouloir empêcher la mer d’écraser Bonneville, sans cette Pauline de malheur qui lui tournait la tête. Tant pis pour elle, si elle y avait laissé des sous ! lui, le pauvre garçon, y avait bien laissé de sa santé et de son avenir ! Madame Chanteau ne tarissait pas en rancune contre les cent cinquante mille