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LES ROUGON-MACQUART.

qu’elle apercevait Véronique, la potion à la main, elle criait gaiement :

— Allez-vous-en donc ! vous me gênez.

Parfois, elle rappelait Louise pour lui recommander Lazare, comme un enfant.

— Tâche qu’il ne s’ennuie pas. Il a besoin de distraction… Et faites une bonne course, je ne veux pas vous voir d’aujourd’hui.

Quand elle était seule, ses yeux fixes semblaient les suivre au loin. Elle passait les journées à lire, en attendant le retour de ses forces, si brisée encore, que deux ou trois heures de fauteuil l’épuisaient. Souvent, elle laissait tomber le livre sur ses genoux, une songerie l’égarait à la suite de son cousin et de son amie. S’ils avaient longé la plage, ils devaient arriver aux grottes, où il faisait bon sur le sable, à l’heure fraîche de la marée. Et elle croyait, dans la persistance de ces visions, n’éprouver que le regret de ne pouvoir être avec eux. Ses lectures, du reste, l’ennuyaient. Les romans qui traînaient dans la maison, des histoires d’amour aux trahisons poétiques, avaient toujours révolté sa droiture, son besoin de se donner et de ne plus se reprendre. Était-ce possible qu’on mentît à son cœur, qu’on cessât d’aimer un jour, après avoir aimé ? Elle repoussait le livre. Maintenant, ses regards perdus voyaient là-bas, au-delà des murs, son cousin qui ramenait son amie, dont il soutenait la marche lasse, l’un contre l’autre, chuchotant avec des rires.

— Votre potion, mademoiselle, disait brusquement Véronique, dont la grosse voix, derrière elle, l’éveillait en sursaut.

Au bout de la première semaine, Lazare n’entrait plus sans frapper. Un matin, comme il poussait la