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LES ROUGON-MACQUART.

le petit genou de l’enfant, sans la quitter de ses regards pleins de tendres supplications.

— Oh ! le mendiant ! dit madame Chanteau. Doucement, Mathieu ! veux-tu bien ne pas te jeter si fort sur la nourriture !

Le chien, d’un coup de gosier, avait bu le morceau de biscuit que Pauline lui tendait ; et il replaçait sa tête sur le petit genou, il demandait un autre morceau, les yeux toujours dans les yeux de sa nouvelle amie. Elle riait, le baisait, le trouvait bien drôle, les oreilles rabattues, une tape noire sur l’œil gauche, la seule tache qui marquât sa robe blanche, aux longs poils frisés. Mais il y eut un incident : la Minouche, jalouse, venait de sauter légèrement au bord de la table ; et, ronronnante, l’échine souple, avec des grâces de jeune chèvre, elle donnait de grands coups de tête dans le menton de l’enfant. C’était sa façon de se caresser, on sentait son nez froid et l’effleurement de ses dents pointues ; tandis qu’elle dansait sur ses pattes, comme un mitron pétrissant de la pâte. Alors, Pauline fut enchantée, entre les deux bêtes, la chatte à gauche, le chien à droite, envahie par eux, exploitée indignement, jusqu’à leur distribuer tout son dessert.

— Renvoie-les donc, lui dit sa tante. Ils ne te laisseront rien.

— Qu’est-ce que ça fait ? répondit-elle simplement, dans son bonheur de se dépouiller.

On avait fini. Véronique ôtait le couvert. Les deux bêtes, voyant la table nette, s’en allèrent sans dire merci, en se léchant une dernière fois.

Pauline s’était levée, et debout devant la fenêtre, elle tâchait de voir. Depuis le potage, elle regardait cette fenêtre s’obscurcir, devenir peu à peu d’un