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LA JOIE DE VIVRE.

— Mademoiselle Louise donc ! Est-ce qu’on ne la dirait pas sortie de la cuisse de Jupiter ?… Si vous voyiez, dans sa chambre, tous ses petits pots, des pommades, des liqueurs ! Dès qu’on entre, ça vous prend au gosier, tellement ça embaume… Elle n’est pourtant pas si jolie que vous.

— Oh ! moi, je ne suis plus qu’une paysanne, reprenait la jeune fille avec un sourire. Louise est très gracieuse.

— Possible ! mais elle n’a pas de chair tout de même. Je la vois bien, quand elle se débarbouille… Si j’étais homme seulement, c’est moi qui n’hésiterais pas !

Emportée par le feu de sa conviction, elle venait alors s’accouder près de Pauline.

— Regardez-la donc sur le sable, si l’on ne dirait pas une vraie crevette ! Sans doute que c’est loin, et qu’elle ne peut paraître d’ici large comme une tour. Mais, enfin, il faut au moins avoir l’air de quelque chose… Ah ! voilà monsieur Lazare qui la soulève, pour qu’elle ne mouille pas ses bottines. Il n’en a pas gros dans les bras, allez ! C’est vrai qu’il y a des hommes qui aiment les os…

Véronique s’interrompait net, en sentant près d’elle le tressaillement de Pauline. Sans cesse elle revenait à ce sujet, avec la démangeaison d’en dire davantage. Tout ce qu’elle entendait, tout ce qu’elle voyait à présent, lui restait dans la gorge et l’étranglait : les conversations du soir où la jeune fille était mangée, les rires furtifs de Lazare et de Louise, la maison entière ingrate, glissant à la trahison. Si elle était montée sur le coup, quand une injustice trop forte révoltait son bon sens, elle aurait tout rapporté à la convalescente ; mais la peur de rendre