Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
183
LA JOIE DE VIVRE.

Ma jambe gauche est raide comme du bois ; pas possible de remuer le pied ni le genou… Et mon coude, le voilà qui brûle aussi. Regarde-le donc.

Pauline constata au coude gauche une tumeur très enflammée. Il se plaignait surtout de cette jointure, où la douleur devint bientôt insupportable. Le bras étendu, il soupirait, en ne quittant pas des yeux sa main, une main pitoyable aux phalanges enflées de nœuds, au pouce dévié et comme cassé d’un coup de marteau.

— Je ne peux pas rester, il faut que tu m’aides… J’avais trouvé une si bonne position ! Et tout de suite ça recommence, on dirait qu’on me racle les os avec une scie… Tâche de me relever un peu.

Vingt fois dans une heure, il fallait le changer de place. Une anxiété continue l’agitait, toujours il espérait un soulagement. Mais elle se sentait si peu forte encore, qu’elle n’osait le remuer à elle seule. Elle murmurait :

— Véronique, prends-le doucement avec moi.

— Non, non ! criait-il, pas Véronique ! Elle me secoue.

Alors, Pauline devait faire un effort, dont craquaient ses épaules. Et, si légèrement qu’elle le retournât, il poussait un hurlement qui mettait la bonne en fuite. Celle-ci jurait qu’il fallait être une sainte comme mademoiselle, pour ne pas se dégoûter d’une pareille besogne ; car le bon Dieu lui-même se serait sauvé, en entendant gueuler monsieur.

Les crises, cependant, devenaient moins aiguës ; mais elles ne cessaient pas, elles duraient nuit et jour, exaspérantes de malaise, arrivant à une torture sans nom par l’angoisse de l’immobilité. Ce