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LES ROUGON-MACQUART.

était en train d’écarter du feu un gigot qui allait être certainement trop cuit. Elle ne grondait pas, mais une colère blêmissait la peau rude de ses joues.

— Madame sera restée à Paris, dit-elle sèchement. Avec toutes ces histoires qui n’en finissent plus et qui mettent la maison en l’air !

— Non, non, expliqua Chanteau, la dépêche d’hier soir annonçait le règlement définitif des affaires de la petite… Madame a dû arriver ce matin à Caen, où elle s’est arrêtée pour passer chez Davoine. À une heure, elle reprenait le train ; à deux heures, elle descendait à Bayeux ; à trois heures, l’omnibus du père Malivoire la déposait à Arromanches, et si même Malivoire n’a pas attelé tout de suite sa vieille berline, madame aurait pu être ici vers quatre heures, quatre heures et demie au plus tard… Il n’y a guère que dix kilomètres d’Arromanches à Bonneville.

La cuisinière, les yeux sur son gigot, écoutait tous ces calculs, en hochant la tête. Il ajouta, après une hésitation :

— Tu devrais aller voir au coin de la route, Véronique.

Elle le regarda, plus pâle encore de colère contenue.

— Tiens ! pourquoi ?… Puisque monsieur Lazare est déjà dehors, à patauger à leur rencontre, ce n’est pas la peine que j’aille me crotter jusqu’aux reins.

— C’est que, murmura Chanteau doucement, je finis par être inquiet aussi de mon fils… Lui non plus ne reparaît pas. Que peut-il faire sur la route, depuis une heure ?

Alors, sans parler davantage, Véronique prit à un clou un vieux châle de laine noire, dont elle s’enve-