Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/209

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second, où elle n’était pas rentrée depuis qu’elle l’y avait surpris avec Louise, elle ferma la porte, elle tâcha de le rassurer.

— Voyons, tu ignores même ce qu’elle a. Attends le docteur au moins… Elle est très forte, il y a toujours de l’espoir.

Mais lui, s’entêtait, frappé au cœur d’une conviction subite.

— Elle est perdue, elle est perdue.

C’était un coup imprévu qui l’assommait. À son lever, il avait comme d’habitude regardé la mer, en bâillant d’ennui et en se plaignant du vide imbécile de l’existence. Puis, quand sa mère s’était découverte jusqu’aux genoux, la vue de ces pauvres jambes gonflées par l’œdème, énormes et pâles, pareilles à des troncs déjà morts, l’avait empli d’un attendrissement épouvanté. Eh quoi ! d’une minute à l’autre, le malheur entrait ainsi ! Maintenant encore, assis sur un coin de sa grande table, le corps tremblant, il n’osait nommer tout haut la maladie qu’il venait de reconnaître. Toujours l’effroi d’une maladie de cœur l’avait hanté pour les siens et pour lui, sans que ses deux années de médecine lui eussent démontré l’égalité des maux devant la mort. Être frappé au cœur, à la source même de la vie, restait à ses yeux la mort affreuse, impitoyable. Et c’était de cette mort que sa mère allait mourir et que lui-même mourrait certainement ensuite !

— Pourquoi te désoler ainsi ? continuait Pauline, il y a des hydropiques qui vivent très longtemps. Tu te rappelles madame Simonnot ? elle a fini par s’en aller d’une fluxion de poitrine.

Mais il hochait la tête, il n’était pas un enfant pour qu’on le trompât de la sorte. Ses pieds pendants