Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/212

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plume irritée, qui trouait le papier mince. Le chirurgien de marine reparaissait, dans les mouvements brusques de son grand corps. Mais, quand il se fut remis debout, son vieux visage tanné par les vents du large s’adoucit, en voyant devant lui Lazare et Pauline, la tête basse, désespérés.

— Mes pauvres enfants, reprit-il, nous ferons le possible pour la tirer d’affaire… Vous savez que je ne veux pas jouer au grand homme avec vous. Eh bien, franchement, je ne peux rien dire. Il me semble pourtant qu’il n’y a aucun danger immédiat.

Et il partit, après s’être assuré que Lazare avait de la teinture de digitale. L’ordonnance portait simplement des frictions de cette teinture sur les jambes, et quelques gouttes dans un verre d’eau sucrée. Cela suffisait pour le moment, il apporterait le lendemain des pilules. Peut-être se déciderait-il à pratiquer une saignée. Pauline, cependant, l’avait accompagné jusqu’à son cabriolet, afin de lui demander la vérité vraie ; mais la vérité vraie était réellement qu’il n’osait se prononcer. Quand elle rentra dans la cuisine, elle trouva Lazare qui relisait l’ordonnance. Le seul mot de digitale l’avait fait blêmir de nouveau.

— Ne vous tourmentez donc pas si fort ! dit Véronique qui s’était mise à pelurer des pommes de terre, afin de rester et d’entendre. Les médecins, c’est tous des massacres. Pour que celui-là ne sache quoi dire, ça doit être qu’il n’y a pas grand’chose.

Une discussion les retint autour du plat, où la cuisinière coupait ses pommes de terre. Pauline, elle aussi, se montrait rassurée. Le matin, elle était entrée embrasser sa tante, et elle lui avait trouvé une bonne figure : on ne pouvait mourir avec des joues