Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/214

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— Alors, tu veux que je te mette sur le côté droit ?

— Oui, pousse-moi un peu… Ah ! mon pauvre enfant, que tu as de peine à comprendre !

Déjà la jeune fille l’avait saisie doucement et la retournait.

— Laisse-moi faire, j’ai l’habitude avec mon oncle… Es-tu bien ?

Madame Chanteau, irritée, gronda qu’on la bousculait. Elle ne pouvait faire un mouvement, sans étouffer aussitôt ; et elle demeura une minute haletante, le visage terreux. Lazare s’était reculé derrière les rideaux du lit, afin de cacher son désespoir. Pourtant, il resta encore, pendant que Pauline frictionnait les jambes de la malade, avec la teinture de digitale. Il détournait la tête, mais un besoin de voir ramenait ses regards sur ces jambes monstrueuses, ces paquets inertes de chair blafarde, dont la vue achevait de l’étrangler d’angoisse. Quand sa cousine l’aperçut si défait, elle crut prudent de le renvoyer. Elle s’approcha, et comme madame Chanteau s’endormait, très lasse d’avoir été simplement changée de place, elle dit tout bas :

— Tu ferais mieux de t’en aller.

Il lutta un instant, des larmes l’aveuglaient. Mais il dut céder, il descendit, honteux, bégayant :

— Mon Dieu ! je ne peux pas ! je ne peux pas !

Lorsque la malade se réveilla, elle ne remarqua point d’abord l’absence de son fils. Une stupeur semblait la prendre, elle se repliait en elle-même, dans le besoin égoïste de se sentir vivre. Seule, la présence de Pauline l’inquiétait, bien que celle-ci se dissimulât, assise à l’écart, sans parler,