Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/215

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sans bouger. Sa tante ayant allongé la tête, elle crut pourtant devoir la renseigner d’un mot.

— C’est moi, ne te tourmente pas… Lazare est allé jusqu’à Verchemont, où il a le menuisier à voir.

— Bon, bon, murmura madame Chanteau.

— Tu n’es pas assez souffrante, n’est-ce pas ? pour que ça l’empêche de faire ses affaires.

— Bien sûr.

Dès ce moment, elle ne parla plus que rarement de son fils, malgré l’adoration qu’elle lui témoignait la veille encore. Il s’effaçait de son reste de vie, après avoir été la cause et le but de son existence entière. La décomposition cérébrale qui commençait à se faire en elle, ne lui laissait que le souci physique de sa santé. Elle accepta les soins de sa nièce, sans paraître se rendre compte de la substitution, simplement préoccupée de la suivre des yeux, comme distraite par la méfiance croissante qu’elle éprouvait, à la voir toujours aller et venir devant son lit.

Et, pendant ce temps, Lazare était descendu dans la cuisine, éperdu, les jambes cassées. La maison entière lui faisait peur : il ne pouvait demeurer dans sa chambre dont le vide l’écrasait, il n’osait traverser la salle à manger, où la vue de son père, lisant paisiblement un journal, le suffoquait de sanglots. Aussi revenait-il sans cesse à la cuisine, le seul coin chaud et vivant, rassuré d’y trouver Véronique, qui se battait avec ses casseroles, comme aux bons jours de tranquillité. Quand elle le vit se rasseoir près du fourneau, sur la chaise de paille qu’il adoptait, elle lui dit franchement ce qu’elle pensait de son peu de courage.