Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/216

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— En vérité, monsieur Lazare, vous n’êtes pas d’un grand secours. C’est encore cette pauvre mademoiselle qui va tout avoir sur le dos… On croirait qu’il n’y a jamais eu de malade ici ; et ce qui est fort, c’est que vous avez très bien soigné votre cousine, quand elle a failli mourir de son mal de gorge… Hein ? vous ne pouvez dire le contraire, vous êtes resté quinze jours là-haut, à la retourner comme une enfant.

Lazare l’écoutait, plein de surprise. Il n’avait pas songé à cette contradiction, pourquoi ces façons de sentir différentes et illogiques ?

— C’est vrai, répétait-il, c’est vrai.

— Vous ne laissiez entrer personne, continuait la bonne, et mademoiselle était encore plus triste à regarder que madame, tellement elle souffrait. Moi, je redescendais toute bousculée, sans avoir seulement l’envie d’avaler gros comme ça de pain… Puis, aujourd’hui, voilà le cœur qui vous tourne, dès que vous voyez votre mère au lit ! Vous ne lui porteriez pas même des tasses de tisane… Votre mère est ce qu’elle est, mais elle est votre mère.

Il n’entendait plus, il regardait fixement devant lui, dans le vide. Enfin, il murmura :

— Que veux-tu ? je ne peux pas… C’est peut-être parce que c’est maman, mais je ne peux pas… Quand je la vois avec ses jambes, en me disant qu’elle est perdue, il y a quelque chose qui se casse dans mon estomac, je crierais comme une bête, si je ne me sauvais de la chambre.

Tout son corps était repris d’un tremblement, il avait ramassé par terre un couteau tombé de la table, qu’il examinait sans le voir, les yeux noyés. Un silence régna. Véronique plongeait la tête dans