Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/219

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Après le départ du docteur, comme Véronique présentait une cuillerée de potion à madame Chanteau, celle-ci n’apercevant pas sa nièce, qui cherchait du linge dans l’armoire, murmura :

— C’est le médecin qui a préparé cette drogue ?

— Non, madame, c’est mademoiselle.

Alors, elle goûta du bout des lèvres, puis elle eut une grimace.

— Ça sent le cuivre… Je ne sais ce qu’elle me force à prendre, j’ai le goût du cuivre dans l’estomac depuis hier.

Et, d’un geste brusque, elle jeta la cuillerée derrière le lit. Véronique restait la bouche béante.

— Eh bien ! quoi donc ? en voilà une idée !

— Je n’ai pas envie de m’en aller encore, dit madame Chanteau en reposant la tête sur l’oreiller. Tiens ! écoute, les poumons sont solides. Et elle pourrait bien partir avant moi, car elle n’a pas la chair très saine.

Pauline avait entendu. Elle se tourna, frappée au cœur, et regarda Véronique. Au lieu de s’avancer, elle se reculait davantage, ayant honte pour sa tante de ce soupçon abominable. Une détente se produisait en elle, il lui venait une grande pitié, en face de cette malheureuse ravagée de peur et de haine ; et, loin d’en éprouver une nouvelle rancune, elle se sentit débordée d’un attendrissement douloureux, lorsqu’en se baissant elle aperçut sous le lit les médicaments que la malade y jetait, par crainte du poison. Jusqu’au soir, elle montra une douceur vaillante, elle ne parut même pas s’apercevoir des regards inquiets qui étudiaient ses mains. Son ardent désir était de vaincre par ses bons soins les terreurs de la moribonde, de ne pas lui laisser em-