Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/220

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porter dans la terre cette pensée affreuse. Elle défendit à Véronique d’effrayer Lazare davantage, en lui contant l’histoire.

Une seule fois, depuis le matin, madame Chanteau avait demandé son fils ; et elle s’était contentée de la première réponse venue, sans s’étonner de ne plus le voir. D’ailleurs, elle parlait moins encore de son mari, elle ne s’inquiétait pas de ce qu’il pouvait faire, seul, dans la salle à manger. Tout disparaissait pour elle, le froid de ses jambes semblait monter et lui glacer le cœur, de minute en minute. Et il fallait, à chaque repas, que Pauline descendît, afin de mentir à son oncle. Ce soir-là, elle trompa Lazare lui-même, elle lui assura que l’enflure diminuait.

Mais, dans la nuit, le mal fit des progrès effrayants. Le lendemain, au grand jour, lorsque la jeune fille et la bonne revirent la malade, elles furent saisies de l’expression égarée de ses yeux. La face n’était pas changée, et elle n’avait toujours pas de fièvre ; seulement, l’intelligence paraissait se prendre, une idée fixe achevait la destruction de ce cerveau. C’était la phase dernière, l’être peu à peu mangé par une passion unique, tombé à la fureur.

La matinée, avant l’arrivée du docteur Cazenove, fut terrible. Madame Chanteau ne voulait même plus que sa nièce l’approchât.

— Laisse-toi soigner, je t’en prie, répétait Pauline. Je vais te lever un instant, puisque tu es si mal couchée.

Alors, la mourante se débattait, comme si on l’étouffait.

— Non, non, tu as tes ciseaux, tu me les enfonces exprès dans la chair… Je les sens bien, je saigne de partout.