Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle agonisait, sa tête trop basse, renversée dans l’épouvante, se tachait de plaques violettes. La jeune fille, croyant qu’elle expirait dans ses bras, sonna la bonne. Toutes deux eurent beaucoup de peine pour la soulever et la recoucher sur les oreillers.

Alors, les souffrances personnelles de Pauline, ses tourments d’amour furent définitivement emportés dans cette douleur commune. Elle ne songeait plus à sa plaie récente qui saignait encore la veille, elle n’avait plus ni violence ni jalousie, devant une si grande misère. Tout se noyait au fond d’une pitié immense, elle aurait voulu pouvoir aimer davantage, se dévouer, se donner, supporter l’injustice et l’injure, pour mieux soulager les autres. C’était comme une bravoure à prendre la grosse part du mal de la vie. Dès ce moment, elle n’eut pas un abandon, elle montra devant ce lit de mort le calme résigné qu’elle avait eu lorsque la mort la menaçait elle-même. Toujours prête, elle ne se rebutait de rien. Et sa tendresse était même revenue, elle pardonnait à sa tante l’emportement des crises, elle la plaignait de s’être lentement enragée ainsi, préférant la revoir dans les années anciennes, l’aimant de nouveau, comme elle l’aimait à dix ans, lorsqu’elle était arrivée avec elle à Bonneville, un soir, par un vent de tempête.

Ce jour-là, le docteur Cazenove ne parut qu’après le déjeuner : un accident, le bras cassé d’un fermier, qu’il avait dû remettre, venait de l’arrêter à Verchemont. Quand il eut vu madame Chanteau et qu’il redescendit dans la cuisine, il ne cacha pas son impression mauvaise. Justement, Lazare était là, assis près du fourneau, dans cette oisiveté fiévreuse qui le dévorait.