Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/226

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un pied de la table, absorbé, perdu dans le doute où il tombait, quand il sentait la nature lui échapper. Il venait d’entendre pourtant, il coupa la parole à l’abbé Horteur.

— Qui vous a dit que je ne croyais pas en Dieu ?… Dieu n’est pas impossible, on voit des choses si drôles !… Après tout, qui sait ?

Il secoua la tête, il sembla se réveiller.

— Tenez ! continua-t-il, vous allez entrer avec moi serrer la main à ce brave monsieur Chanteau… Il aura bientôt besoin d’un grand courage.

— Si ça pouvait le distraire, offrit obligeamment le curé, je resterais avec lui à faire quelques parties de dames.

Alors, tous deux passèrent dans la salle à manger, tandis que Pauline se hâtait de remonter près de sa tante. Lazare, demeuré seul, se leva, hésita un moment à monter lui aussi, alla écouter la voix de son père, sans avoir le courage d’entrer ; puis, il revint s’abandonner sur la même chaise, dans le désœuvrement de son désespoir.

Le médecin et le prêtre avaient trouvé Chanteau en train de pousser sur la table une boule de papier, faite avec un prospectus, encarté dans son journal. La Minouche, couchée près de lui, regardait de ses yeux verts. Elle dédaignait ce joujou trop simple, les pattes sous le ventre, reculant devant la fatigue de sortir ses griffes. La boule s’était arrêtée devant son nez.

— Ah ! c’est vous, dit Chanteau. Vous êtes bien aimables, je ne m’amuse guère tout seul… Eh bien ! docteur, elle va mieux ? Oh ! je ne m’inquiète pas, elle est la plus solide de la maison, elle nous enterrera tous.