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LA JOIE DE VIVRE.

l’obligeance de déclarer que le vent du large tonifierait d’une façon puissante l’état général. Donc, un matin de mai, les Chanteau, laissant au lycée Lazare, âgé alors de quatorze ans, partirent pour s’installer définitivement à Bonneville.

Depuis cet arrachement héroïque, cinq années s’étaient écoulées, et les affaires du ménage allaient de mal en pis. Comme Davoine se lançait dans de grandes spéculations, il disait avoir besoin de continuelles avances, risquait de nouveau les bénéfices, de sorte que les inventaires se soldaient presque par des pertes. À Bonneville, on en était réduit à vivre sur les trois mille francs de rentes, si maigrement qu’on avait dû vendre le cheval et que Véronique cultivait le potager.

— Voyons, Eugénie, hasarda Chanteau, si l’on m’a mis dedans, c’est un peu ta faute.

Mais elle n’acceptait plus cette responsabilité, elle oubliait volontiers que l’association avec Davoine était son œuvre.

— Comment ! ma faute ! répondit-elle d’une voix sèche. Est-ce que c’est moi qui suis malade ?… Si tu n’avais pas été malade, nous serions peut-être millionnaires.

Chaque fois que l’amertume de sa femme débordait ainsi, il baissait la tête, gêné et honteux d’abriter dans ses os l’ennemie de la famille.

— Il faut attendre, murmura-t-il. Davoine a l’air certain du coup qu’il prépare. Si le sapin remonte, nous avons une fortune.

— Et puis, quoi ? interrompit Lazare, sans cesser de copier sa musique, nous mangeons tout de même… Vous avez bien tort de vous tracasser. C’est moi qui me moque de l’argent !