Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/237

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Véronique : elle courait, elle alluma une bougie et l’emporta, si pressée, qu’elle ne lui jeta ni une parole ni même un regard. La cuisine, éclairée un moment, était retombée dans le noir. En haut, les piétinements s’apaisaient. Il y eut encore une apparition de la bonne, qui, cette fois, descendait prendre une terrine ; et toujours la même hâte effarée et muette. Lazare ne douta plus, c’était fini. Alors, défaillant, il s’assit au bord de la table, il attendit au fond de cette ombre, sans savoir ce qu’il attendait, les oreilles sonnantes du grand silence qui venait de se faire.

Dans la chambre, l’agonie suprême durait depuis deux heures, une agonie atroce qui épouvantait Pauline et Véronique. La peur du poison avait reparu aux derniers hoquets, madame Chanteau se soulevait, causant toujours de sa voix rapide, mais peu à peu agitée d’un délire furieux. Elle voulait sauter de son lit, s’enfuir de la maison où quelqu’un allait l’assassiner. La jeune fille et la bonne devaient mettre toutes leurs forces à la retenir.

— Laissez-moi, vous me ferez tuer… Il faut que je parte, tout de suite, tout de suite…

Véronique tâchait de la calmer.

— Madame, regardez-nous… Vous ne nous pensez pas capables de vous faire du mal.

La mourante, épuisée, soufflait un instant. Elle semblait chercher dans la pièce, de ses yeux troubles, qui ne voyaient sans doute plus. Puis, elle reprenait :

— Fermez le secrétaire. C’est dans le tiroir… La voilà qui monte. Oh ! j’ai peur, je vous dis que je l’entends ! Ne lui donnez pas la clef, laissez-moi partir, tout de suite, tout de suite…