Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/236

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Il fut impossible à Lazare de chasser cette bête, qui l’accompagna de loin, comme pour veiller sur son désespoir. La mer immense l’irritait elle aussi, il s’était jeté dans les champs, il cherchait les coins perdus, afin de s’y sentir seul et caché. Jusqu’à la nuit, il vagabonda, traversa des terres labourées, sauta des haies vives. Enfin, il rentrait exténué, lorsqu’un spectacle, devant lui, le frappa d’une épouvante superstitieuse : c’était au bord d’un chemin désert, un grand peuplier isolé et noir, que la lune à son lever surmontait d’une flamme jaune ; et l’on aurait dit un grand cierge brûlant dans le crépuscule, au chevet de quelque grande morte, couchée en travers de la campagne.

— Allons, Mathieu ! cria-t-il d’une voix étranglée. Dépêchons-nous.

Il rentra en courant, comme il était parti. Le chien avait osé se rapprocher, et il lui léchait les mains.

Malgré la nuit tombée, il n’y avait pas de lumière dans la cuisine. La pièce était vide et sombre, rougie au plafond par le reflet d’un fourneau de braise. Ces ténèbres saisirent Lazare, qui ne trouva pas le courage d’aller plus loin. Éperdu, debout au milieu du désordre des pots et des torchons, il écouta les bruits dont la maison frissonnait. À côté, il entendait une petite toux de son père, auquel l’abbé Horteur parlait, d’une voix sourde et continue. Mais ce qui l’effrayait surtout, c’étaient, dans l’escalier, des pas rapides, des chuchotements, puis, à l’étage supérieur, un bourdonnement qu’il ne s’expliquait pas, comme le tumulte étouffé d’une besogne vivement faite. Il n’osait comprendre, était-ce donc fini ? Et il demeurait immobile, sans avoir la force de monter chercher une certitude, lorsqu’il vit descendre