Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/241

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Lazare, qui ne se coucha pas la première nuit, écrivit jusqu’au jour des lettres à des parents éloignés. On devait transporter le corps au cimetière de Caen, dans le caveau de la famille. Le docteur s’était obligeamment chargé de toutes les formalités ; et il n’y en eut qu’une de pénible, à Bonneville, la déclaration que Chanteau était chargé de recevoir en qualité de maire. Pauline, n’ayant pas de robe noire convenable, se hâta de s’en arranger une, à l’aide d’une ancienne jupe et d’un châle de mérinos, dans lequel elle se tailla un corsage. La première nuit, puis la journée passèrent encore, au milieu de la fièvre de ces occupations ; mais ce fut la seconde nuit qui s’éternisa, rendue interminable par la douloureuse attente du lendemain. Personne ne put dormir, les portes restaient ouvertes, des bougies allumées traînaient sur les marches et sur les meubles ; tandis qu’une odeur de phénol avait envahi jusqu’aux pièces écartées. Tous en étaient à cette courbature de la douleur, la bouche empâtée, les yeux troubles ; et ils n’avaient plus que le sourd besoin de ressaisir la vie.

Enfin, le lendemain, à dix heures, la cloche de la petite église se mit à sonner, de l’autre côté de la route. Par égard pour l’abbé Horteur, qui s’était conduit en brave homme dans ces tristes circonstances, on avait résolu de faire célébrer la cérémonie religieuse à Bonneville, avant le départ du corps pour le cimetière de Caen. Dès qu’il entendit la cloche, Chanteau se remua dans son fauteuil.

— Je veux la voir partir au moins, répétait-il. Ah ! les saletés de jambes ! quelle misère que d’avoir des saletés de jambes pareilles !

Vainement, on essaya de lui éviter l’affreux spec-