Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/246

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puis, dans la rage du choc, ces monstres volaient eux-mêmes en poussière d’eau, tombaient en une bouillie blanche, que le flot paraissait boire et remporter. Sous chacun de ces écroulements, les charpentes des épis craquaient. Un déjà avait eu ses jambes de force cassées, et la longue poutre centrale, retenue par un bout, branlait désespérément, ainsi qu’un tronc mort dont la mitraille aurait coupé les membres. Deux autres résistaient mieux ; mais on les sentait trembler dans leurs scellements, se fatiguer et comme s’amincir, au milieu de l’étreinte mouvante qui semblait vouloir les user pour les rompre.

— Je disais bien, répétait Prouane, très ivre, adossé à la coque trouée d’une vieille barque, fallait voir ça quand le vent soufflerait d’en haut… Elle s’en moque un peu, de ses allumettes, à ce jeune homme !

Des ricanements accueillaient ces paroles. Tout Bonneville était là, les hommes, les femmes, les enfants, très amusés par les claques énormes que recevaient les épis. La mer pouvait écraser leurs masures, ils l’aimaient d’une admiration peureuse, ils en auraient pris pour eux l’affront, si le premier monsieur venu l’avait domptée, avec quatre poutres et deux douzaines de chevilles. Et cela les excitait, les gonflait comme d’un triomphe personnel, de la voir enfin se réveiller et se démuseler, en un coup de gueule.

— Attention ! criait Houtelard, regardez-moi quel atout… Hein ? elle lui a enlevé deux pattes !

Ils s’appelaient. Cuche comptait les vagues.

— Il en faut trois, vous allez voir… Une, ça le décolle ! deux, c’est balayé ! Ah ! la gueuse, deux