Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/247

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lui ont suffi !… Quelle gueuse, tout de même !

Et ce mot était une caresse. Des jurons attendris s’élevaient. La marmaille dansait, quand un paquet d’eau plus effrayant s’abattait et brisait du coup les reins d’un épi. Encore un ! encore un ! tous y resteraient, craqueraient, comme des puces de mer sous le sabot d’un enfant. Mais la marée montait toujours, et la grande estacade restait debout. C’était le spectacle attendu, la bataille décisive. Enfin, les premières vagues s’engouffrèrent dans les charpentes. On allait rire.

— Dommage qu’il ne soit pas là, le jeune homme ! dit la voix goguenarde de ce gueux de Tourmal. Il pourrait s’accoter contre, pour les renforcer.

Un sifflement le fit taire, des pêcheurs venaient d’apercevoir Lazare et Pauline. Ceux-ci, très pâles, avaient entendu, et ils continuaient à regarder le désastre en silence. Ce n’était rien, ces poutres brisées ; mais la marée devait monter encore pendant deux heures, le village souffrirait certainement, si l’estacade ne résistait pas. Lazare avait pris sa cousine contre lui, en la tenant à la taille, pour la protéger des rafales, dont les souffles passaient comme des coups de faux. Une ombre lugubre tombait du ciel noir, les vagues hurlaient, tous deux demeuraient immobiles, en grand deuil, dans la poussière d’eau volante, dans la clameur qui s’enflait, toujours plus haute. Autour d’eux, maintenant, les pêcheurs attendaient, la bouche tordue par un dernier ricanement, travaillés sourdement d’une inquiétude croissante.

— Ça ne va pas être long, murmura Houtelard.

L’estacade pourtant résistait. À chaque lame qui la couvrait d’écume, les charpentes noires, enduites