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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/25

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LA JOIE DE VIVRE.

petits cheveux châtains, dépeignés par le vent, jetaient une ombre sur son front délicat. Et l’esprit de madame Chanteau retournait à Paris, au milieu des ennuis qu’elle venait d’avoir, étonnée elle-même de sa chaleur à accepter cette tutelle, prise d’une considération instinctive pour une pupille riche, d’une honnêteté stricte d’ailleurs, et sans arrière-pensée au sujet de la fortune dont elle aurait la garde.

— Quand je suis descendue dans cette boutique, se mit-elle à raconter lentement, elle était en petite robe noire, elle m’a embrassée, avec de gros sanglots… Oh ! une très belle boutique, une charcuterie tout en marbres et en glaces, juste en face des Halles… Et j’ai trouvé là une gaillarde, une bonne haute comme une botte, fraîche, rouge, qui avait prévenu le notaire, fait poser les scellés, et qui continuait tranquillement à vendre du boudin et des saucisses… C’est Adèle qui m’a conté la mort de notre pauvre cousin Quenu. Depuis six mois qu’il avait perdu sa femme Lisa, le sang l’étouffait ; toujours, il portait la main à son cou, comme pour ôter sa cravate ; enfin, un soir, on l’a trouvé la figure violette, le nez tombé dans une terrine de graisse… Son oncle Gradelle était mort ainsi.

Elle se tut, le silence recommença. Sur le visage endormi de Pauline, un rêve passait, la clarté rapide d’un sourire.

— Et, pour la procuration, tout a bien marché ? demanda Chanteau.

— Très bien… Mais ton notaire a eu joliment raison de laisser le nom de mandataire en blanc, car il paraît que je ne pouvais te remplacer : les femmes sont exclues de ces affaires-là… Comme je te l’ai