Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/258

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tence de jadis recommença. On plaisantait, le veuf tapait sur ses jambes, en disant que sans cette maudite goutte, il danserait, tellement son caractère était gai encore. Seul, le fils restait détraqué, avec une verve mauvaise quand il causait, tout d’un coup frissonnant au milieu de ses éclats de paroles.

Un samedi soir, on était au rôti, lorsque l’abbé Horteur fut appelé près d’un agonisant. Il ne vida pas son verre, il s’en alla sans écouter le docteur qui avait vu le malade avant de venir dîner, et qui lui criait qu’il trouverait son homme mort. Ce soir-là, le prêtre s’était montré d’un si pauvre esprit, que Chanteau lui-même déclara derrière son dos :

— Il y a des jours où il n’est pas fort.

— Je voudrais être à sa place, dit brutalement Lazare. Il est plus heureux que nous.

Le docteur se mit à rire.

— Peut-être. Mais Mathieu et la Minouche sont aussi plus heureux que nous… Ah ! je reconnais là nos jeunes gens d’aujourd’hui, qui ont mordu aux sciences, et qui en sont malades, parce qu’ils n’ont pu y satisfaire les vieilles idées d’absolu, sucées avec le lait de leurs nourrices. Vous voudriez trouver dans les sciences, d’un coup et en bloc, toutes les vérités, lorsque nous les déchiffrons à peine, lorsqu’elles ne seront sans doute jamais qu’une éternelle enquête. Alors, vous les niez, vous vous rejetez dans la foi qui ne veut plus de vous, et vous tombez au pessimisme… Oui, c’est la maladie de la fin du siècle, vous êtes des Werther retournés.

Il s’animait, c’était sa thèse favorite. Dans leurs discussions, Lazare, de son côté, exagérait sa négation de toute certitude, sa croyance au mal final et universel.