Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/259

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— Comment vivre, demanda-t-il, lorsque à chaque heure les choses craquent sous les pieds ?

Le vieillard eut un élan de passion juvénile.

— Mais vivez, est-ce que vivre ne suffit pas ? La joie est dans l’action.

Et, brusquement, il s’adressa à Pauline, qui écoutait en souriant.

— Voyons, vous, dites-lui donc comment vous faites pour être toujours contente.

— Oh ! moi, répondit-elle d’un ton de plaisanterie, je tâche de m’oublier, de peur de devenir triste, et je pense aux autres, ce qui m’occupe et me fait prendre le mal en patience.

Cette réponse parut irriter Lazare, qui soutint, par un besoin de contradiction méchante, que les femmes devaient avoir de la religion. Il affectait de ne pas comprendre pourquoi elle avait cessé de pratiquer depuis longtemps. Et elle donna ses raisons, de son air paisible.

— C’est bien simple, la confession m’a blessée, je pense que beaucoup de femmes sont comme moi… Puis, il m’est impossible de croire des choses qui me semblent déraisonnables. Dès lors, à quoi bon mentir, en feignant de les accepter ?… D’ailleurs, l’inconnu ne m’inquiète pas, il ne peut être que logique, le mieux est d’attendre le plus sagement possible.

— Taisez-vous, voici l’abbé, interrompit Chanteau, que cette conversation ennuyait.

L’homme était mort, l’abbé acheva tranquillement de dîner, et l’on but un petit verre de chartreuse.

Maintenant, Pauline avait pris la direction de la maison, avec la maturité riante d’une bonne ménagère. Les achats, les moindres détails, lui passaient sous les yeux, et le trousseau des clefs battait à sa