Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/261

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surtout chez lui un besoin de la garder, une terreur de retomber aux mains de la bonne, s’il la perdait jamais. Pauline avait donné à entendre qu’on ne pouvait rien décider avant la fin du grand deuil. Les convenances ne lui dictaient pas seules cette parole sage, elle comptait demander au temps la réponse à une question, qu’elle n’osait s’adresser elle-même. Une mort si brusque, ce coup terrible dont elle et son cousin restaient ébranlés, avait fait comme une trêve dans leurs tendresses saignantes. Ils s’en éveillaient peu à peu pour souffrir encore, en retrouvant, sous la perte irréparable, leur drame à eux : Louise surprise et chassée, leurs amours détruites, leur existence changée peut-être. Que résoudre maintenant ? S’aimaient-ils toujours, le mariage demeurait-il possible et raisonnable ? Cela flottait dans l’étourdissement où la catastrophe les laissait, sans que ni l’un ni l’autre parût impatient de brusquer une solution.

Cependant, chez Pauline, le souvenir de l’injure s’était adouci. Elle avait pardonné depuis longtemps, prête à mettre ses deux mains dans celles de Lazare, le jour où il se repentirait. Et ce n’était pas chez elle le triomphe jaloux de le voir s’humilier, elle songeait à lui seulement, au point de vouloir lui rendre sa parole, s’il ne l’aimait plus. Toute son angoisse était dans ce doute : pensait-il encore à Louise ? l’avait-il oubliée au contraire, pour revenir aux vieilles affections d’enfance ? Quand elle rêvait ainsi de renoncer à Lazare, plutôt que de le rendre malheureux, son être succombait de douleur, elle comptait bien avoir ce courage, mais elle espérait en mourir ensuite.

Dès la mort de sa tante, une idée généreuse lui était venue, elle avait projeté de se réconcilier avec