Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/262

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Louise. Chanteau pouvait lui écrire, elle-même ajouterait un mot d’oubli sur la lettre. On était si seul, si triste, que la présence de cette grande enfant serait une distraction pour tout le monde. Puis, après une si rude secousse, le passé de la veille semblait très ancien ; et elle avait aussi le remords de s’être montrée violente. Mais, chaque fois qu’elle voulait en parler à son oncle, une répugnance l’en empêchait. N’était-ce point risquer l’avenir, tenter Lazare et le perdre ? Peut-être aurait-elle trouvé pourtant la bravoure et la fierté de le soumettre à cette épreuve, s’il n’y avait pas eu, en elle, une révolte de l’idée de justice. La trahison seule était impardonnable. Et, d’ailleurs, ne devait-elle pas suffire à refaire la joie de la maison ? Pourquoi appeler une étrangère, lorsqu’elle se sentait débordante de tendresse et de dévouement ? À son insu, il restait de l’orgueil dans son abnégation, elle avait la charité jalouse. Son cœur s’embrasait à l’espoir d’être l’unique bonheur des siens.

Ce fut, dès lors, le grand travail de Pauline. Elle s’appliqua, elle s’ingénia, pour rendre autour d’elle la maison heureuse. Jamais encore elle n’avait montré une telle vaillance dans la belle humeur et la bonté. C’était, chaque matin, un réveil souriant, un souci de cacher ses propres misères, afin de ne pas en augmenter celles des autres. Elle défiait les catastrophes par sa douceur à vivre, elle avait une égalité de caractère qui désarmait les mauvais vouloirs. Maintenant, elle se portait bien, forte et saine comme un jeune arbre, et la joie qu’elle répandait autour d’elle, était le rayonnement même de sa santé. Le recommencement de chaque journée l’enchantait, elle mettait son plaisir à refaire le jour ce qu’elle