Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/265

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préférant ses longues siestes de l’après-midi, ne s’assoupissant plus que le matin, lorsque l’aube chassait la peur des ténèbres.

Pourtant, des rémittences se produisaient. Lazare restait parfois des deux ou trois soirs, sans être visité par la mort. Un jour, Pauline trouva chez lui un almanach criblé de traits au crayon rouge. Surprise, elle le questionna.

— Tiens ! que marques-tu donc ainsi ?… En voilà des dates pointées !

Il balbutiait :

— Moi, je ne marque rien… Je ne sais pas…

Gaiement elle reprit :

— Je croyais que les filles seules confiaient aux calendriers les choses qu’on ne dit à personne… Si c’est à nous que tu penses tous ces jours-là, tu es joliment aimable… Ah ! tu as des secrets !

Mais, comme il se troublait de plus en plus, elle eut la charité de se taire. Sur le front blêmi du jeune homme, elle voyait passer une ombre qu’elle connaissait, le mal caché dont elle ne pouvait le guérir.

Depuis quelque temps, il l’étonnait également par une nouvelle manie. Dans la certitude de sa fin prochaine, il ne sortait pas d’une pièce, ne fermait pas un livre, ne se servait pas d’un objet, sans croire que c’était son dernier acte, qu’il ne reverrait ni l’objet, ni le livre, ni la pièce ; et il avait alors contracté l’habitude d’un continuel adieu aux choses, un besoin maladif de reprendre les choses, de les voir encore. Cela se mêlait à des idées de symétrie : trois pas à gauche et trois pas à droite ; les meubles, aux deux côtés d’une cheminée ou d’une porte touchés chacun un nombre égal de fois ; sans compter