Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/276

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Enfin, la bonne poussait un soupir de soulagement, lorsque tout d’un coup elle cria :

— Ils ne sont donc pas tous partis ? En voici encore une dans ce coin !

C’était la petite Tourmal, l’avorton des grandes routes, qui, malgré ses dix ans, restait d’une taille de naine. Son effronterie seule grandissait, plus geignarde, plus acharnée, dressée à l’aumône dès le maillot, pareille aux enfants phénomènes qu’on désosse pour les culbutes des cirques. Elle se trouvait accroupie, entre le buffet et la cheminée, comme si, craignant d’être surprise en train de mal faire, elle s’était laissée glisser dans ce recoin. Cela ne parut pas naturel.

— Que fais-tu là ? demanda Pauline.

— Je me chauffe.

Véronique jetait un coup d’œil inquiet autour de sa cuisine. Déjà, les autres samedis, même lorsque les enfants s’asseyaient sur la terrasse, de menus objets avaient disparu. Mais tout semblait en ordre, et la gamine, qui s’était mise vivement debout, commençait à les étourdir de sa voix aiguë.

— Papa est à l’hôpital, grand-père s’est blessé en travaillant, maman n’a pas de robe pour sortir… Ayez pitié de nous, ma bonne demoiselle…

— Veux-tu bien ne pas nous casser la tête, menteuse ! cria Lazare exaspéré. Ton père est en prison pour contrebande, et le jour où ton grand-père s’est tourné le poignet, c’était en ravageant les parcs d’huîtres, à Roqueboise ; sans compter que, si ta mère n’a pas de robe, elle doit aller en chemise à la maraude, car on est encore venu l’accuser d’avoir étranglé cinq poules, chez l’aubergiste de Verchemont… Est-ce que tu te fiches de nous, de nous