Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/280

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veux, elle ne pouvait croire aux seuls ravages du mal inavoué, elle imaginait d’autres motifs de tristesse, l’idée de Louise se réveillait en elle. Décidément, il pensait toujours à cette fille, il traînait la souffrance de ne plus la voir. Alors, elle restait glacée, et elle tâchait de retrouver l’orgueil de son abnégation, en jurant encore de faire assez de joie autour d’elle, pour suffire au bonheur de tous les siens.

Un soir, Lazare eut une parole cruelle.

— Comme on est seul ici ! dit-il en bâillant.

Elle le regarda. Était-ce donc une allusion ? Mais elle n’eut pas le courage de l’interroger d’une façon nette. Sa bonté se débattait, sa vie redevenait une torture.

Une dernière secousse attendait Lazare, son vieux Mathieu n’allait pas bien. La pauvre bête, qui avait eu quatorze ans en mars, était de plus en plus prise par les pattes de derrière. Quand des crises l’engourdissaient, il pouvait à peine marcher, il demeurait dans la cour, étendu au soleil, guettant le monde sortir, de ses yeux mélancoliques. C’étaient surtout ces yeux de vieux chien qui remuaient Lazare, des yeux devenus troubles, obscurcis d’un nuage bleuâtre, vagues comme des yeux d’aveugle. Pourtant, il voyait encore, il se traînait pour venir appuyer sa grosse tête sur le genou de son maître, puis le regardait fixement, avec l’air triste de tout comprendre. Et il n’était plus beau : sa robe blanche et frisée avait jauni ; son nez, autrefois si noir, blanchissait ; une saleté et une sorte de honte le rendaient lamentable, car on n’osait le laver à cause de son grand âge. Tous ses jeux avaient cessé, il ne se roulait plus sur le dos, ne tournait plus après sa queue, n’était même plus allumé d’accès de tendresse pour les petits de