Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/291

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deux mille francs de rente, bien juste de quoi vivre, si elle se trouvait un jour seule sur le pavé des rues. L’argent s’en était allé peu à peu dans la maison, où elle continuait à payer, les mains ouvertes. Aussi veilla-t-elle dès lors aux dépenses, avec une vigueur de ménagère prudente. Les Chanteau n’avaient même plus leurs trois cents francs par mois ; car, à la mort de la mère, on s’était aperçu de la vente d’un certain nombre de titres, sans pouvoir découvrir où avaient passé les sommes touchées. En joignant ses propres rentes aux leurs, elle ne disposait guère que de quatre cents francs, et la maison était lourde, il lui fallait faire des miracles d’économie, pour sauver l’argent de ses aumônes. Depuis le dernier hiver, la curatelle du docteur Cazenove avait pris fin, Pauline était majeure, disposait absolument de ses biens et de sa personne ; sans doute, le docteur ne la gênait guère, car il refusait d’être consulté, et sa mission avait cessé légalement depuis des semaines, lorsque l’un et l’autre s’en étaient avisés, mais elle se sentait plus mûre et plus libre pourtant, comme devenue tout à fait femme, en se voyant maîtresse de maison, sans comptes à rendre, suppliée par son oncle de tout régler et de ne jamais lui parler de rien. Lazare avait aussi l’horreur des questions d’intérêt. Elle tenait donc la bourse commune, elle remplaçait sa tante, avec un bon sens pratique qui stupéfiait parfois les deux hommes. Seule, Véronique trouvait que mademoiselle était joliment « chienne » : est-ce qu’il ne fallait pas, maintenant, se contenter d’une livre de beurre, chaque samedi !

Les jours se succédaient avec une régularité monotone. Cet ordre, ces habitudes sans cesse recommençantes, qui étaient le bonheur aux yeux de