Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
LES ROUGON-MACQUART.

autres. Mais qu’est-ce que vous voulez ! on ne peut rien contre cette gueuse, il est dit que chaque année elle nous emportera un morceau du pays.

Il y eut un silence. Les quatre bougies brûlaient avec des flammes hautes, et l’on entendit la mer, la gueuse, qui battait les falaises. À cette heure, elle se trouvait dans son plein, chaque flot en s’écroulant ébranlait la maison. C’étaient comme des détonations d’une artillerie géante, des coups profonds et réguliers, au milieu de la déchirure des galets roulés sur les roches, qui ressemblait à un craquement continu de fusillade. Et, dans ce vacarme, le vent jetait le rugissement de sa plainte, la pluie par moments redoublait de violence, semblait fouetter les murs d’une grêle de plomb.

— C’est la fin du monde, murmura madame Chanteau. Et les Cuche, où vont-ils se réfugier ?

— Faudra bien qu’on les abrite, répondit Prouane. En attendant, ils sont déjà chez les Gonin… Si vous aviez vu ça ! le petit qui a trois ans, trempé comme une soupe ! et la mère en jupon, montrant tout ce qu’elle possède, sauf votre respect ! et le père, la tête à moitié fendue par une poutre, s’entêtant à vouloir sauver leurs quatre guenilles !

Pauline avait quitté la table. Retournée près de la fenêtre, elle écoutait, avec une gravité de grande personne. Son visage exprima une bonté navrée, une fièvre de sympathie, dont ses grosses lèvres tremblaient.

— Oh ! ma tante, dit-elle, les pauvres gens !

Et ses regards allaient au dehors, dans ce gouffre noir où les ténèbres s’étaient encore épaissies. On sentait que la mer avait galopé jusqu’à la route, qu’elle était là maintenant, gonflée, hurlante ; mais