Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/308

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que Madame avait raison, cette minette-là l’émoustille plus que vous.

Elle hocha la tête, elle ajouta, en se parlant à elle-même, d’une voix sombre :

— Ah ! Madame voyait clair, malgré ses défauts… Moi, je ne peux toujours pas avaler ça, qu’elle soit morte.

Le soir, dans sa chambre, lorsque Pauline eut fermé sa porte et posé sa bougie sur la commode, elle s’abandonna au bord de son lit, en se disant qu’elle devait marier Lazare et Louise. Toute la journée, un grand bourdonnement qui lui ébranlait le crâne, l’avait empêchée de formuler une pensée nette ; et c’était seulement à cette heure de nuit, lorsqu’elle pouvait souffrir sans témoins, qu’elle trouvait enfin cette conséquence inévitable. Il fallait les marier, cela retentissait en elle comme un ordre, comme une voix de raison et de justice qu’elle ne pouvait faire taire. Un moment, elle si courageuse, se retourna épouvantée, en croyant entendre la voix de sa tante qui criait d’obéir. Alors, toute vêtue, elle se renversa, elle enfonça la tête dans l’oreiller, pour étouffer ses cris. Oh ! le donner à une autre, le savoir entre les bras d’une autre, à jamais, sans espoir de le reprendre ! Non, elle n’aurait pas ce courage, elle aimait mieux continuer à vivre de sa vie misérable ; personne ne l’aurait, ni elle, ni cette fille, et lui-même sécherait dans l’attente ! Longtemps elle se débattit, secouée d’une fureur jalouse, qui levait devant elle des images charnelles abominables. Toujours, le sang l’emportait d’abord, une violence que ni les années ni la sagesse n’apaisaient. Puis, elle tomba à un grand épuisement, sa chair était anéantie.

Dès lors, allongée sur le dos, sans trouver la force