Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/314

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

faute, s’il y a des choses qui t’inquiètent : moi, je surveille jusqu’à ma façon de rire, sans que ça paraisse… Et, si tu ne me crois pas, eh bien ! je vais m’en aller, m’en aller tout de suite.

Elles étaient seules, dans le vaste espace. Le potager, brûlé par le vent d’ouest, s’étendait à leurs pieds comme un terrain inculte, tandis que, au-delà, la mer immobile déroulait son infini.

— Mais écoute ! cria Pauline, je ne t’adresse aucun reproche, je désire au contraire te rassurer.

Et, la prenant aux épaules, la forçant à lever les yeux, elle lui dit doucement, en mère qui questionne sa fille :

— Tu aimes Lazare ?… Et il t’aime aussi, je le sais.

Un flot de sang était monté au visage de Louise. Elle tremblait plus fort, elle voulait se dégager et s’enfuir.

— Mon Dieu ! je suis donc bien maladroite, que tu ne me comprennes pas ! Est-ce que j’aborderais un pareil sujet pour te tourmenter ?… Vous vous aimez, n’est-ce pas ? eh bien ! je veux vous marier ensemble, c’est très simple.

Louise, éperdue, cessa de se débattre. Une stupeur arrêta ses larmes, l’immobilisa, les mains tombées et inertes.

— Comment ? et toi ?

— Moi, ma chérie, je me suis interrogée sérieusement depuis quelques semaines, la nuit surtout, dans ces heures de veille où l’on voit plus clair… Et j’ai reconnu que j’avais uniquement pour Lazare une bonne amitié. Ne le remarques-tu pas toi-même ? nous sommes camarades, on dirait deux garçons, il n’y a pas entre nous cet emportement des amoureux…