Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/337

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heureuse ou fâchée, tellement elle devenait la chose des autres. Du reste, dans sa gaieté, il y avait une tristesse, celle de retrouver Lazare vieilli, l’œil éteint, la bouche amère. Elle connaissait bien ces plis qui lui coupaient le front et les joues ; mais les rides s’étaient creusées, elle y devinait un redoublement d’ennui et d’épouvante. Lui, la regardait également. Sans doute, elle lui semblait s’être développée, avoir gagné en beauté et en force, car il murmura, souriant à son tour :

— Diable ! vous n’avez pas souffert pendant mon absence. Vous êtes tous gras… Papa rajeunit, Pauline est superbe… Et, c’est drôle, la maison me paraît plus grande.

Il faisait, d’un coup d’œil, le tour de la salle à manger, comme il avait examiné la cour, surpris et ému. Son regard finit par s’arrêter sur la Minouche, couchée sur la table, les pattes en manchon, si enfoncée dans sa béatitude de chatte, qu’elle n’avait pas bougé.

— Jusqu’à Minouche qui ne vieillit pas, reprit-il. Dis donc, ingrate, tu pourrais bien me reconnaître !

Il la caressait, elle se mit à ronronner, sans bouger davantage.

— Oh ! Minouche ne connaît qu’elle, dit Pauline gaiement. Avant-hier, on lui a encore jeté cinq petits. Tu vois, ça ne la trouble guère.

On avança le dîner, parce que Lazare avait déjeuné de bonne heure. Malgré les efforts de la jeune fille, la soirée fut triste. Des choses qu’on ne disait pas embarrassaient la causerie ; et des silences se faisaient. Ils évitèrent de le questionner, voyant qu’il répondait avec gêne ; ils ne tâchèrent de savoir ni où en étaient ses affaires à Paris, ni pourquoi il les