Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/340

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surtout, c’était cette mésintelligence grandie peu à peu entre lui et sa femme. Elle cherchait la cause : comment en arrivaient-ils si rapidement à ce malaise, eux jeunes, pouvant vivre à l’aise, n’ayant d’autre souci que celui de leur bonheur ? Vingt fois, elle revint sur ce sujet, et elle ne cessa d’interroger son cousin que devant la gêne où elle le mettait chaque fois : il balbutiait, pâlissait, détournait les regards. Elle avait bien reconnu cet air de honte et de peur, l’angoisse de la mort dont il cachait le frisson jadis, ainsi qu’on dissimule un vice secret ; mais était-il possible que le froid du jamais plus se fût couché entre eux, dans le lit encore brûlant de leurs noces ? Plusieurs jours, elle douta ; puis, sans qu’il se fût confessé davantage, elle lut dans ses yeux la vérité, un soir où il descendit de sa chambre, sans lumière, bouleversé, comme s’il fuyait devant des spectres.

À Paris, au milieu de sa fièvre d’amour, Lazare avait oublié la mort. Il se réfugiait éperdument dans les bras de Louise, si brisé ensuite de lassitude, qu’il s’endormait d’un sommeil d’enfant. Elle aussi l’aimait en amante, avec ses grâces voluptueuses de chatte, faite uniquement pour ce culte de l’homme, tout de suite malheureuse et perdue, s’il cessait une heure de s’occuper d’elle. Et la satisfaction emportée de leurs anciens désirs, l’oubli du reste au cou l’un de l’autre, s’étaient prolongés, tant qu’ils avaient cru ne jamais toucher le fond de ces joies sensuelles. Mais la satiété venait, lui s’étonnait de ne pouvoir aller au-delà de l’ivresse des premiers jours ; tandis qu’elle, dans son besoin unique de caresses, ne demandant et ne rendant rien de plus, ne lui apportait aucun des soutiens ni des courages de la vie.