Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/343

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partir le premier. Alors, il s’attendrissait sur elle, il se l’imaginait en veuve, continuant leurs habitudes communes, faisant ceci, et ceci encore, qu’il ne ferait plus. Parfois, pour chasser cette obsession, il la prenait doucement, sans l’éveiller ; mais il lui était impossible de la garder longtemps, la sensation de cette vie, qu’il tenait à pleins bras, le terrifiait davantage. S’il posait la tête sur la poitrine, et qu’il écoutât battre le cœur, il ne pouvait en suivre les mouvements sans malaise, croyant toujours à un détraquement subit. Les jambes qu’il avait liées aux siennes, la taille qui mollissait sous son étreinte, ce corps entier, si souple, si adoré, lui était bientôt d’un toucher insupportable, l’emplissait peu à peu d’une attente anxieuse, dans son cauchemar du néant. Et même, lorsqu’elle s’éveillait, lorsqu’un désir les nouait plus étroitement, les lèvres contre les lèvres, se jetant au spasme d’amour avec l’idée d’y oublier leur misère, ils en sortaient aussi tremblants, ils demeuraient allongés sur le dos, sans retrouver le sommeil, dégoûtés de la joie d’aimer. Dans l’ombre de l’alcôve, leurs grands yeux fixes se rouvraient sur la mort.

Vers ce temps, Lazare se lassa des affaires. Sa paresse revenait, il traînait des journées oisives, en donnant pour excuse son mépris des manieurs d’argent. La vérité était que cette préoccupation constante de la mort lui enlevait chaque jour davantage le goût et la force de vivre. Il retombait dans son ancien « à quoi bon ? » Puisque le saut final était là, demain, aujourd’hui, dans une heure peut-être, à quoi bon se remuer, se passionner, tenir à cette chose plutôt qu’à cette autre ? Tout avortait. Son existence n’était qu’une mort lente, quotidienne,