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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/342

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il l’avait redouté si longtemps, les yeux grands ouverts. Elle ne disait rien, elle le regardait grelotter et blêmir. Sans doute, elle aussi venait de sentir passer la mort, car elle parut comprendre, elle se jeta contre lui, dans un abandon de femme qui demande du secours. Puis, voulant encore se tromper l’un l’autre, ils feignirent d’avoir entendu un bruit de pas, ils se levèrent pour faire une visite sous les meubles et derrière les rideaux.

Désormais, ils furent hantés tous les deux. Aucun aveu ne leur échappait, c’était un secret de honte dont il ne fallait point parler ; seulement, au fond de l’alcôve, lorsqu’ils restaient sur le dos, les yeux élargis, ils s’entendaient clairement penser. Elle était aussi nerveuse que lui, ils devaient se donner mutuellement ce mal, comme il arrive que deux amants sont emportés par la même fièvre. Lui, s’il s’éveillait, et qu’elle se fût endormie, s’effrayait de ce sommeil : est-ce qu’elle respirait encore ? il n’entendait même plus son haleine, peut-être venait-elle subitement de mourir. Un instant, il lui étudiait le visage, il lui touchait les mains. Puis, rassuré, il ne se rendormait pourtant pas. L’idée qu’elle mourrait un jour le jetait dans une songerie lugubre. Lequel s’en irait le premier, lui ou elle ? Il poursuivait les deux hypothèses, des tableaux de mort se déroulaient en images précises, avec l’affreux déchirement des agonies, l’abomination des derniers apprêts, la séparation brutale, éternelle. C’était là que tout son être se soulevait de révolte : ne plus se revoir, jamais, jamais ! lorsqu’on avait vécu ainsi, chair contre chair ; et il se sentait devenir fou, cette horreur refusait de lui entrer dans le crâne. Sa peur se faisait brave, il souhaitait de