Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/352

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si la Minouche n’a pas porté ma pelote de fil sur l’armoire.

Il tenait la chaise, pendant que, haussée sur la pointe des pieds, elle regardait. La pluie tombait depuis deux jours, ils ne pouvaient quitter la grande chambre. Leurs rires éclataient, à chaque trouvaille des vieilles années.

— Oh ! voici la poupée que tu avais faite avec deux de mes vieux faux cols… Et ça, tu te souviens ? c’est un portrait de toi que j’ai dessiné, le jour où tu étais si laide en pleurant de rage, parce que je refusais de te prêter mon rasoir.

Elle pariait de sauter encore d’un bond sur la table. Lui aussi, sautait, heureux d’être dérangé. Son drame dormait déjà dans un tiroir. Un matin qu’ils découvrirent la grande symphonie de la Douleur, elle lui en joua les morceaux, en accentuant comiquement le rythme ; et il se moquait de son œuvre, il chantait les notes, pour soutenir le piano, dont les sons éteints ne s’entendaient plus. Pourtant, un morceau, la fameuse marche de la Mort, les rendit sérieux : vraiment, ce n’était pas mal, on devait garder ça. Tout les amusait, les attendrissait : une collection de Floridées, collée jadis par elle, retrouvée sous des livres ; un bocal oublié qui contenait un échantillon de bromure, obtenu à l’usine ; le modèle minuscule d’un épi, à moitié cassé, comme broyé sous la tempête d’un verre d’eau. Puis, ils battaient la maison, en se poursuivant avec des jeux de gamins échappés ; sans cesse, ils descendaient et montaient les étages, traversaient les pièces, dont les portes battaient bruyamment. N’étaient-ce pas les heures d’autrefois ? elle avait dix ans et lui dix-neuf, elle se reprenait pour lui d’une amitié