Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/354

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se grisaient du grand air salé qui soufflait du large. Et c’étaient encore les escapades de jadis, les promenades lointaines, des repos sur le sable, un abri cherché au fond d’une grotte pour laisser passer une averse brusque, un retour à la nuit tombée, par des sentiers noirs. Rien non plus ne semblait changé sous le ciel, la mer était toujours là, infinie, répétant sans cesse les mêmes horizons, dans sa continuelle inconstance. N’était-ce pas hier qu’ils l’avaient vue, de ce bleu de turquoise, avec ces grandes moires pâles, où s’élargissait le frisson des courants ? et cette eau plombée sous le ciel livide, ce coup de pluie, vers la gauche, qui arrivait avec la marée haute, ne les verraient-ils pas demain encore, en confondant les jours ? Des petits faits oubliés leur revenaient, avec la sensation vive de la réalité immédiate. Lui, alors, avait vingt-six ans, et elle seize. Quand il s’oubliait à la bousculer en camarade, elle restait oppressée, étouffant d’une gêne délicieuse. Elle ne l’évitait pas cependant, car elle ne songeait point au mal. Une vie nouvelle les envahissait, des mots chuchotés, des rires sans cause, de longs silences d’où ils sortaient tremblants. Les choses les plus habituelles prenaient des sens extraordinaires, du pain demandé, un mot sur le temps, le bonsoir qu’ils se souhaitaient à leur porte. C’était tout le passé dont le flot remontait en eux, avec la douceur des vieilles tendresses endormies qui s’éveillent. Pourquoi se seraient-ils inquiétés ? ils ne résistaient même pas, la mer semblait les bercer et les alanguir de l’éternelle monotonie de sa voix.

Et les jours passaient ainsi, sans secousse. Déjà la troisième semaine du séjour de Lazare commençait. Il ne partait pas, il avait reçu plusieurs lettres de