Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/390

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

même place, tremblante, regardant ce ruissellement qui sortait d’elle, avec la terreur de voir le peignoir et le tapis inondés de son sang. Les taches restaient pâles, le flot s’était brusquement arrêté, elle se rassura. Vivement, on l’avait recouchée. Et elle éprouvait un calme soudain, un tel bien-être inattendu, qu’elle se mit à dire, d’un air de gaieté triomphante :

— C’était ça qui me gênait. À présent, je ne souffre plus du tout, c’est fini… Je savais bien que je ne pouvais pas accoucher au huitième mois. Ce sera pour le mois prochain… Vous n’y avez rien entendu, ni les unes ni les autres.

Madame Bouland hochait la tête, sans vouloir lui gâter ce moment de répit en répondant que les grandes douleurs d’expulsion allaient venir. Elle avertit seulement Pauline à voix basse, elle la pria de se mettre de l’autre côté du lit de sangle, pour empêcher une chute possible, dans le cas où l’accouchée se débattrait. Mais, quand les douleurs reparurent, Louise ne tenta point de se lever : elle n’en trouvait désormais ni la volonté ni la force. Au premier réveil du mal, son teint s’était plombé, sa face avait pris une expression de désespoir. Elle cessait de parler, elle s’enfermait dans cette torture sans fin, où elle ne comptait désormais sur le secours de personne, si abandonnée, si misérable à la longue, qu’elle souhaitait de mourir tout de suite. D’ailleurs, ce n’étaient plus les contractions involontaires, qui, depuis vingt heures, lui arrachaient les entrailles ; c’étaient à présent des efforts atroces de tout son être, des efforts qu’elle ne pouvait retenir, qu’elle exagérait elle-même, par un besoin irrésistible de se délivrer.