Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/399

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Le lit de sangle ne fut pas jugé assez solide. On transporta la jeune femme sur le grand lit, après avoir mis une planche entre les matelas. La tête vers le mur, adossée contre un entassement d’oreillers, elle avait les reins appuyés au bord même ; et on écarta les cuisses, on posa les pieds sur les dossiers de deux petits fauteuils.

— C’est parfait, disait le médecin en considérant ces préparatifs. Nous serons bien, ça va être très commode… Seulement, il serait prudent de la tenir, dans le cas où elle se débattrait.

Louise n’était plus. Elle venait de s’abandonner comme une chose. Sa pudeur de femme, sa répugnance à se laisser voir dans son mal et dans sa nudité, avaient sombré enfin, emportées par la souffrance. Sans force pour soulever un doigt, elle n’avait conscience ni de sa peau nue, ni de ces gens qui la touchaient. Et, découverte jusqu’à la gorge, le ventre à l’air, les jambes élargies, elle restait là, sans même un frisson, étalant sa maternité ensanglantée et béante.

— Madame Bouland tiendra l’une des cuisses, continuait le docteur, et vous, Pauline, il faut que vous nous rendiez le service de tenir l’autre. N’ayez pas peur, serrez ferme, empêchez tout mouvement… Maintenant, Lazare serait bien gentil s’il m’éclairait.

On lui obéissait, cette nudité avait aussi disparu pour eux. Ils n’en voyaient que la misère pitoyable, ce drame d’une naissance disputée, qui tuait l’idée de l’amour. À la grande clarté brutale, le mystère troublant s’en était allé de la peau si délicate aux endroits secrets, de la toison frisant en petites mèches blondes ; et il ne restait que l’humanité douloureuse, l’enfantement dans le sang et dans l’ordure, faisant