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LES ROUGON-MACQUART.

était débarqué à Paris, où un autre de ses oncles lui avait plus tard cédé une grande charcuterie, en plein quartier des Halles. Et on s’était à peine rencontré deux ou trois fois, lorsque Chanteau, forcé par ses douleurs de quitter son commerce, avait fait des voyages à Paris, afin de consulter les célébrités médicales. Seulement, les deux hommes s’estimaient, le mourant rêvait peut-être pour sa fille l’air salubre de la mer. Celle-ci d’ailleurs, héritant de la charcuterie, serait loin d’être une charge. Enfin, madame Chanteau avait accepté, même si vivement, qu’elle avait voulu éviter à son mari la fatigue dangereuse d’un voyage, partant seule, battant le pavé, réglant les affaires, avec son continuel besoin d’activité ; et il suffisait à Chanteau que sa femme fût contente.

Mais pourquoi n’arrivaient-elles pas toutes les deux ? Ses craintes le reprenaient, en face du ciel livide, où le vent d’ouest emportait de grands nuages noirs, comme des haillons de suie, dont les déchirures traînaient au loin dans la mer. C’était une de ces tempêtes de mars, lorsque les marées de l’équinoxe battent furieusement les côtes. Le flot, qui commençait seulement à monter, ne mettait encore sur l’horizon qu’une barre blanche, une écume mince et perdue ; et la plage, si largement découverte ce jour-là, cette lieue de rochers et d’algues sombres, cette plaine rase, salie de flaques, tachée de deuil, prenait une mélancolie affreuse, sous le crépuscule tombant de la fuite épouvantée des nuages.

— Peut-être bien que le vent les a chavirées dans un fossé, murmura Chanteau.

Un besoin de voir le poussait. Il ouvrit la porte