Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/407

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

De l’autre côté du corridor, dans l’ancienne chambre de madame Chanteau, Pauline luttait contre l’asphyxie croissante du petit être misérable, qu’elle y avait apporté. Elle s’était hâtée de le mettre sur un fauteuil, devant le grand feu ; et, à genoux, trempant un linge dans une soucoupe pleine d’alcool, elle le frictionnait sans relâche, avec une foi entêtée, sans même sentir la crampe qui peu à peu raidissait son bras. Il était de chair si pauvre, d’une fragilité si pitoyable, que sa grande peur était d’achever de le tuer, en frottant trop fort. Aussi son mouvement de va-et-vient avait-il une douceur de caresse, l’effleurement continu d’une aile d’oiseau. Elle le retournait avec précaution, essayait de rappeler la vie dans chacun de ses petits membres. Mais il ne remuait toujours pas. Si les frictions le réchauffaient un peu, sa poitrine restait creuse, aucun souffle ne la soulevait encore. Au contraire, il semblait bleuir davantage.

Alors, sans répugnance pour cette face molle, à peine lavée, elle colla sa bouche contre la petite bouche inerte. Lentement, longuement, elle soufflait, mesurant son haleine à la force des étroits poumons, où l’air n’avait pu entrer. Quand elle étouffait elle-même, elle devait s’arrêter quelques secondes ; puis, elle recommençait. Le sang lui montait à la tête, ses oreilles s’emplissaient de bourdonnements, elle eut un peu de vertige. Et elle ne lâchait pas, elle donna ainsi son souffle pendant plus d’une demi-heure, sans être encouragée par le moindre résultat. Quand elle aspirait, il ne lui venait au goût qu’une fadeur de mort. Très doucement, elle avait en vain essayé de faire jouer les côtes, en les pressant du bout des doigts. Rien ne réussissait,