Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/408

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une autre aurait abandonné cette résurrection impossible. Mais elle y apportait un désespoir obstiné de mère, qui achève de mettre au jour l’enfant mal venu de ses entrailles. Elle voulait qu’il vécût, et elle sentit enfin s’animer le pauvre corps, la petite bouche avait eu un frisson léger sous la sienne.

Depuis près d’une heure, l’angoisse de cette lutte la tenait éperdue, seule dans cette pièce, oublieuse de tout. Le faible signe d’existence, cette sensation si courte à ses lèvres, lui rendit courage. Elle recommença les frictions, elle continua de minute en minute à donner son souffle, alternant, se dépensant, avec sa charité débordante. C’était un besoin grandissant de vaincre, de faire de la vie. Un instant, elle craignit de s’être trompée, car ses lèvres ne pressaient toujours que des lèvres immobiles. Puis, elle eut de nouveau conscience d’une rapide contraction. Peu à peu, l’air entrait, lui était pris et lui était rendu. Sous sa gorge, il lui semblait entendre se régler les battements du cœur. Et sa bouche ne quitta plus la petite bouche, elle partageait, elle vivait avec le petit être, ils n’avaient plus à eux deux qu’une haleine, dans ce miracle de résurrection, une haleine lente, prolongée, qui allait de l’un à l’autre comme une âme commune. Des glaires, des mucosités lui souillaient les lèvres, mais sa joie de l’avoir sauvé emportait son dégoût : elle aspirait maintenant une âpreté chaude de vie, qui la grisait. Quand il cria enfin, d’un faible cri plaintif, elle tomba assise devant le fauteuil, remuée jusqu’au ventre.

Le grand feu brûlait très haut, emplissant la chambre d’une clarté vive. Pauline restait par