Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/423

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ils gesticulaient et dansaient comme des sauvages, soulevés par l’ivresse du vent et de l’eau, cédant à l’horreur de ce massacre. Puis, pendant que Lazare leur montrait le poing, ils s’étaient sauvés, ayant à leurs talons le galop enragé des vagues, que rien n’arrêtait plus. Maintenant, ils crevaient la faim, ils geignaient dans le nouveau Bonneville, en accusant la gueuse de leur ruine et en se recommandant à la charité de la bonne demoiselle.

— Que fais-tu là ? cria Pauline, lorsqu’elle aperçut le fils Houtelard. Je t’avais défendu de rentrer ici.

C’était à cette heure un grand gaillard, qui approchait de ses vingt ans. Son allure triste et peureuse d’enfant battu avait tourné à de la sournoiserie. Il répondit en baissant les yeux :

— Faut avoir pitié de nous, mademoiselle. Nous sommes si malheureux, depuis que le père est mort !

Houtelard, parti en mer un soir de gros temps, n’était jamais revenu ; on n’avait même rien retrouvé, ni son corps, ni celui de son matelot, ni une planche de la barque. Mais Pauline, forcée de surveiller ses aumônes, avait juré de ne rien donner au fils ni à la veuve, tant qu’ils vivraient ouvertement en ménage. Dès la mort du père, la belle-mère, cette ancienne bonne qui rouait le petit de coups, par avarice et méchanceté, s’en était fait un mari, à présent qu’il n’avait plus l’âge d’être battu. Tout Bonneville riait du nouvel arrangement.

— Tu sais pourquoi je ne veux pas que tu remettes les pieds chez moi, reprit Pauline. Quand tu auras changé de conduite, nous verrons.

Alors, d’une voix traînante, il plaida sa cause.

— C’est elle qui a voulu. Elle m’aurait battu encore. Et puis, ce n’est pas ma mère, ça ne fait rien